Vendredi 13 novembre 2015,
J’étais à Paris. L’air de Paris avait une transparence, une douceur et une température exceptionnelle. Trouver une place en terrasse était difficile. En soirée, las de chercher une table et fatigué d’une journée de déambulations parisiennes, je suis rentré plus tôt que prévu en banlieue.
Samedi 14 novembre 9 heures du matin, SMS, une fois, deux fois… une personne cherche à me joindre : « J’ai tout vu, ça s’est passé sous ma fenêtre, devant le Carillon, je suis choquée, j’ai très mal au ventre et au coeur… » Derrière la fenêtre de son appartement du premier étage, cette jeune femme vient de vivre l’horreur en direct. Si elle s’adresse à moi, c’est que par le passé, je l’ai accompagné sur le traitement de souffrances psychiques personnelles fortes. Samedi 13 heures, RER vide, métro vide, en me rendant chez elle je suis bloqué car la ligne 5 fonctionne en intermittence.
Samedi 14 heures, J’arrive rue Bichat. Entre le début de cette rue barrée au rubalise « police » et la fin entre « le Carillon » et « le petit cambodgien », c’est soudain un autre monde que l’on pénètre. Les premiers hommages, fleurs, bougies, témoignages s’étalent sur les trottoirs. Les caméras du monde entier sont là, gros plan sur la vitrine brisée, les traces des douilles au sol… je m’engouffre sous le porche et monte au premier étage. Elle est là, et dès mon entrée chez elle, mécaniquement elle me raconte, elle se raconte et se remet en situation devant sa fenêtre. Les bruits de tir qui l’ont sortie de sa lecture, sa venue vers la fenêtre, la vision de cet homme au milieu de la rue tirant sur les gens attablés, sa tétanie attendant qu’il se retourne vers elle et qu’il la tue (elle le surplombe de quelques dizaines de cm ), les cris, les images,… l’arrivée des secours, les gestes d’urgence,…. puis les émotions la peur, l’impuissance, la culpabilité, les douleurs à la puissance dix mille….
Ce long récit va durer. Puis je l’accompagne avec mon expérience du traumatisme, de son retraitement et les outils thérapeutiques auxquels j’ai été formé : EMDR, hypnose, cohérence cardiaque… Après 4 heures de travail thérapeutique je sors de chez elle rue Bichat, ce samedi, vers 18h. Anonyme dans la foule dense et figée. Je sens, je ressens l’émotion collective, les humeurs, les mots, la colère, l’immense tristesse, le désarroi. Je mesure la somme de souffrances directes et indirectes qu’ont engendrés ces actes terroristes. Je ne suis plus en mesure de les accueillir, je m’éloigne.
Combien d’images, de sons, de cris, d’odeurs, de ressentis, de répulsion, de dégoût…. vont rester au plus profond de l’intime de chacun, de chacune, des acteurs et spectateurs involontaires de cette barbarie. Combien de ces souffrances vont être identifiées, quantifiées, reconnues et traitées dans les jours, semaines et mois à venir ? Combien de ces souffrances psychiques vont venir s’écraser sur le mur de la croyance collective « qu’on ne peut rien faire, qu’il faut attendre que cela passe »… et puis finir par s’incruster au plus profond de chacun et chacune comme des échardes profondes douloureuses qui se réactiveront aux moindres incidents de la vie ?
Combien ? Pour une personne aujourd’hui réparée psychiquement quelques heures après ce spectacle hallucinant de mort, de violence, d’impuissance, de culpabilité… de terreur et d’effroi, combien d’autres resteront liées à ces actes de barbarie pendant des jours, des mois, des années ?
La souffrance psychique n’est pourtant pas une fatalité dont on hérite pour la vie. Malgré la croyance collective « qu’on ne peut rien y faire », elle peut être traitée en quelques heures, dès la violence du choc d’un trauma, et cela, de manière efficace et durable.
Au « Souffle Douleur », c’est notre quotidien, côtoyer l’horrible, l’indicible, le violent pour soulager au plus vite la souffrance qu’il provoque. Sous cette étiquette, nous sommes deux thérapeutes, un dans l’Oise et un en Corrèze ( je me déplace sur toute la France et travaille à domicile), formés à la souffrance psychique forte et à sa résorption rapide. Nous travaillons avec un protocole précis qui fait que nous retraitons des traumatismes en quelques heures et cela de manière définitive (une à deux séances de quelques heures). Depuis 8 ans c’est le bouche à oreilles sur les résultats que nous obtenons et une association de victimes qui ont construit notre « clientèle ». Aujourd’hui, nous avons la possibilité d’affirmer, aussi surprenant que cela puisse paraitre, que la souffrance psychique est résorbable en un temps très court. Si ce n’était pas le cas, notre activité aurait disparu rapidement.
Lundi 16 novembre, « Il est temps de revenir parmi les vivants, de libérer l’adulte sensible et forte que je suis. ça va peut être pas se faire du jour au lendemain, mais c’est une belle direction. merci de votre aide et de votre soutien« . C’est la fin du message que j’ai reçu aujourd’hui de cette jeune femme de la rue Bichat… Quatre heures pour repasser du monde de l’horreur à celui de la vie, avançons avec ça !